Henri-Edmond Cross : néo-impressionniste et anarchiste
Ceux et celles qui n’auront pu voir l’exposition consacrée au peintre Henri-Edmond Cross au Musée Marmottan Monet de Paris pourront se rendre au Musée départemental Matisse du Cateau-Cambrésis1 (Nord) où elle sera présentée du 10 mars au 10 juin 2012.
Henri-Edmond Delacroix est né à Douai en 1856 dans une famille de commerçants assez aisés. Son cousin, le docteur Soins (sic), voyant son intérêt pour la peinture, l’aide à suivre cette voie. Il commence par fréquenter l’École des beaux-arts de Lille. Par respect pour son fameux homonyme Eugène Delacroix et en hommage à sa mère d’origine anglaise, il prendra le nom de Cross (croix en anglais).
Il est à Paris en 1876, participe au Salon des artistes français en 1880 puis aux expositions de la Société des artistes indépendants à partir de 1884. Pour des raisons de santé, il s’installe dans le Var à Saint-Cyr près du Lavandou en 1891. Il y recevra entre autres Félix Fénéon, Théo Van Rysselberghe et Paul Signac installé à Saint-Tropez.
Ses premières œuvres représentent des natures mortes puis les jardins de Paris.
Georges Seurat est le premier adepte de la technique divisionniste (ou néo-impressionniste) qui se base sur le mélange optique de touches de couleurs pures fragmentées et pointillées.
À la mort de Georges Seurat, en 1891, Cross devient un adepte de la technique néo-impressionniste en réalisant notamment un portrait de sa femme. Au Salon des Indépendants à Paris ou bien au Salon des XX et au Salon de la Libre esthétique à Bruxelles, il expose chaque année ses tableaux aux côtés de Maximilien Luce, Hippolyte Petitjean, Antoine de La Rochefoucauld, Paul Signac, Théo Van Rysselberghe, Georges Seurat, Charles Angrand et des fils Pissarro.
Inspiré par les thèses de Pierre Kropotkine, ces artistes voyaient la science comme moteur de progrès au service de tous. La technologie pouvait libérer l’homme au niveau spirituel et matériel. Camille Pissarro, un temps séduit par la nouvelle technique, ne va pas tarder à la critiquer sévèrement.
Félix Fénéon est l’un de ses admirateurs : « Cross, ah Cross ! ». Devenu directeur de galerie, il passe des contrats avec lui, organise des expositions personnelles et publie ses carnets après sa mort.
Son pointillisme fait place à des touches élargies aux formes variées, de grands à-plats de mosaïque aux couleurs vives. Il annonce le fauvisme. Il influence André Derain, Robert Delaunay, Vassily Kandinsky et Henri Matisse qui lui rend visite. Ses tableaux représentent les sites encore intacts de la côte méditerranéenne de Marseille à l’Italie en passant par Cabasson, Le Lavandou, Bormes-les-Mimosas, Saint-Tropez et Nice. Sa représentation de la nature ne tombe jamais dans le piège de la banalité. Il peint de nombreuses scènes avec des nus en plein air : les proportions, les formes et les raccourcis sont d’une profonde justesse ; les courbes des corps rejoignent celles des arbres dans un paysage harmonieux évoquant l’âge d’or des anarchistes. « Je veux peindre le bonheur, les êtres heureux que seront devenus les hommes dans quelques siècles (?) quand la pure anarchie sera réalisée. »
Signac avait développé ses conceptions sur la société future dans une grande toile d’abord baptisée Au temps d’anarchie avant de devenir Au temps d’harmonie. On pouvait y voir représentés l’amour libre, le travail heureux et les joies du farniente. A la même époque (1894) Cross peint sur le même thème L’air du soir.
Comme tous ses amis, Cross collabore au journal Les Temps nouveaux de Jean Grave. « Quant à la rétribution, qu’il n’en soit pas question entre nous, mon cher Grave ». Il illustre en 1899 la couverture de À mon frère le paysan d’Élisée Reclus et en 1900 celle de Enseignement bourgeois et enseignement libertaire de Jean Grave. Pour l’album de lithographies (1905) publié par le journal, il réalise L’errant et donne un dessin pour le livre collectif Patriotisme, colonisation. Cette collaboration ne correspond cependant pas du tout à ses goûts artistiques. « Le genre de dessin qu’appellent Les Temps nouveaux n’est pas beaucoup pour me plaire, en ce sens que mes pensées (au point de vue plastique, d’entendu) sont dans une direction tout autre et j’ai renâclé devant la contrainte et l’effort qu’il me fallait m’imposer. Telle est la vérité ». Cela ne l’empêchera de faire à plusieurs reprises des dons de ses œuvres pour les tombolas du journal.
Après plusieurs maladies, qui lui interdirent souvent de peindre, il meurt d’un cancer en 1910, à l’âge de 54 ans. Les œuvres de la fin de sa vie sont de plus en plus épurées : aquarelles où les paysages sont suggérés par des rubans de couleurs fluides, lavis de gris et de bleu qui évoquent la photographie et enfin des carnets illustrés.
Felip Équy
1 — Musée départemental Matisse, Palais Fénelon, 59360 Le Cateau-Cambrésis
tél. : 03 59 73 38 00 ; courriel : .