Enrico Baj
Notes sur la rencontre avec J.-M. Traimond au sujet d’Enrico Baj. (CIRA, Marseille , 4 octobre 2003)
Alors que l’on (re)découvrait Enrico Baj en France avec la parution de deux livres à l’Atelier de Création Libertaire, l’artiste libertaire anarcho-pataphysicien tirait sa révérence. Il est mort à Vergiate, près de Varese (Italie) le 16 juin 2003, à l’âge de 78 ans.
Il est né en 1924 à Milan dans une famille bourgeoise qui s’intéressait à l’art. Ses parents voulaient qu’il fasse des études de droit ou d’architecture. Il choisit les beaux-arts à Brera.
Il a côtoyé beaucoup de monde.
Pas très connu en France, il était aussi célèbre en Italie que César ou Arman chez nous.
Il a beaucoup aidé le mouvement anarchiste en Italie et ailleurs. Il a fait des dons d’œuvres au CIRA de Lausanne. Leur vente à des galeries a permit le financement de plusieurs projets.
C’est dans la première moitié des années 50 qu’il trouve sa voie artistique et politique.
Le Mouvement nucléaire est une école artistique.
Il peignait un peu comme Dubuffet avec des empâtements. Dans les années 50, il a peint des généraux. Il utilise beaucoup de matériaux de récupération. A la fin de sa vie, il a peint des personnages de Proust, Louis XIV et Madame de Maintenon. Il y a beaucoup d’humour.
Il est toujours resté figuratif.
Le Bauhaus imaginiste n’avait rien à voir avec le Bauhaus original. C’est un mouvement plutôt confus, comme la plupart des manifestes de Baj.
Baj n’a jamais eu d’atomes crochus avec Debord. Ils étaient brouillés bien avant la création de l’Internationale situationniste.
Il a participé à des rencontres de céramistes. Il a fait plusieurs expériences avec des émaux jusqu’en 1958.
Il devient artiste à part entière. Il peut vivre de son art, il en vit même bien. Ses œuvres valaient entre 30 000 et 50 000 francs.
A partir des années 70, il se lance dans le journalisme. Ses articles parlent des grands artistes internationaux (Andy Warhol) et des valeurs démesurées de leurs œuvres. On peut en lire quelques uns dans Sous l’art l’or.
Il parle des dérives de l’art. Dans un article, il raconte comment Kostabi à New York est un peintre qui ne peint pas. Il se contente de signer des toiles peintes par des employés et de les vendre très cher.
Le Manifeste contre le style a été écrit avec Arman et Klein qui n’avaient pas du tout les mêmes idées politiques que lui. Les manifestes qu’il écrit n’ont pas d’influence majeure sur son style.
Il était conscient de ses contradictions. Il critiquait le marché de l’art mais il en vivait. Il n’a pas fait trop de compromis pour vendre et n’est pas tombé dans la facilité comme César, Arman ou Ben. L’aspect figuratif de son œuvre l’a desservi car il n’a pas eu beaucoup de considération de la part des historiens d’art.
Baj a été plusieurs fois censuré. Les funérailles de l’anarchiste Pinelli a été considéré comme une incitation au meurtre et la police est venue fermer l’exposition. Plus tard, aucune galerie n’a pris le risque d’exposer Berluskaiser. Il avait en projet un Oussama Ubu qui aurait eu peut-être aussi des ennuis.
A la Biennale de Venise (1964), il lui a été demandé de cacher les tétons des ses généraux-dames qui représentaient des croix gammées. Il les a recouvertes par des morceaux de scotch noir du meilleur effet.
Il ne cherche pas le conflit et s’en tire par l’humour.
Nixon Parade a été censuré économiquement.
Il a réalisé des tableaux représentant des meubles avec des placages récupérés.
En 1964, il crée l’Institut milanais de pataphysique. C’est la branche italienne du Collège de pataphysique. A Paris, il avait rencontré Breton et Queneau.
Au début des années 80, il a réalisé des marionnettes Ubu en mécano. Elles sont très drôles et très bien réalisées au niveau esthétique.
Dans sa carrière, il n’a guère changé de style. Certaines oeuvres, comme le grand format L’Apocalypse, ont été réalisées sur plusieurs années et ont été modifiées en fonction de leur lieu d’exposition
Paul Virilio est un urbaniste. Chrétien, il a travaillé pour le Ministère de la Défense. Ses théories sur la vitesse et la lumière ont intéressé Baj avec qui il a dialogué. L’augmentation des vitesses et les techniques de la lumière changent profondément notre société. Les distances sont polluées par la rapidité des voyages. La réalité est filtrée par les technologies. La télévision et Internet rendent tout transparent.
Pour le projet de Monument à Bakounine, il y eut un colloque. Baj a fait faire un bloc de marbre de Carrare. Il voulait l’immerger dans le lac Majeur mais c’est impossible car c’est une propriété privée des princes Borromée.
Baj a réalisé beaucoup d’œuvres ayant un rapport avec la littérature et les écrivains.
Grand tableau antifasciste collectif
En 1961, dans l’atelier du peintre Roberto Crippa à Milan, sept peintres réalisent une toile de 35 mètres carrés pour protester contre la Guerre d’Algérie. Il s’agit du Cubain Wilfredo Lam, du Français Jean-Jacques Lebel, de l’Islandais Erró et des Italiens Gianni Dova, Enrico Baj, Roberto Crippa et Edouardo Franceschini. Le tableau est exposé dans le cadre de la manifestation internationale d’avant-garde organisée par Lebel, L’Anti-Procès 3. La police italienne viendra le confisquer ainsi que trois autres œuvres. La justice leur reproche d’être des attentats à la pudeur et des offenses à la religion et au pape. En 1985, Enrico Baj récupère le tableau entreposé depuis 1961 à la questure de Milan. Abîmé, il doit être restauré. On a pu le voir cependant dans des expositions à Paris en 1992 et en 1996, à Vienne en 1998. Grâce à l’action du poète libertaire Julien Blaine, il est d’abord donné à la Ville de Marseille. Mais les changements politiques de 1995 empêchent sa restauration et son exposition dans cette ville. Depuis 1999, on peut le voir au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.