Les internationalistes du « troisième camp »
À propos de “ Les internationalistes du « troisième camp » en France pendant la seconde guerre mondiale ” de Pierre Lanneret.
Lanneret (Pierre), Les internationalistes du « troisième camp » en France pendant la seconde guerre mondiale, précédé d’une biographie de Pierre Lanneret, alias Camille, 80 p. décembre 1995, éditions Acratie.
Bibliothèque du CIRA, sous la cote A 1368bis.
La biographie , rédigée collectivement par quelques amis, décrit une personnalité complexe : scrupuleux sans limites, extrêmement modeste, ce n’était pas un communicateur. Et pourtant un excellent conférencier. Des amis l’ayant connu aux U.S.A. disent à son sujet : Nos vies se sont enrichies d’avoir connu Pierre. Quoiqu’il fut toujours réaliste quant aux perspectives immédiates de l’évolution vers un monde meilleur, il ne perdit jamais sa vision de la direction dans laquelle l’humanité devrait s’engager un jour… (page 31).
Athéiste et anticlérical. Né en 1921. Père revenu invalide de la guerre de 14/18. Trop jeune pour être mobilisé, s’évade du STO en 1943, devient réfractaire sous le pseudonyme de Camille. En 1944, il reprend son travail de typographe et publie Les internationalistes du troisième camp… Se marie en 1945, a un fils en 1946. Milite successivement au Groupe révolutionnaire prolétarien (GRP), puis au groupe « Contre le Courant » fraction de l’Organisation communiste révolutionnaire (OCR), plus tard à la Fraction française de la gauche communiste (FFGC influencée par le bordiguisme), enfin à « Socialisme ou barbarie » issu du Parti communiste internationaliste (PCI). Emigre au Canada en 1951, puis aux USA en 1958. Durant cette époque encore marquée par le maccarthisme, son engagement syndical le conduit à soutenir le combat des Farm workers, les Chicanos, et l’opposition à la guerre du Viet-Nam, tout en conservant son travail en imprimerie, où il rencontre sa seconde compagne. Il adhère finalement à International Socialists (IS) mouvement trotskyste. En 69/70, après la disparition de son fils, il se sépare de sa femme. L’informatisation du métier de typographe le met à la retraite. Il décède d’un cancer en 1985.
Les internationalistes du « troisième camp » en France pendant la seconde guerre mondiale.
De scissions en scissions, de sigles en sigles, il est un peu difficile de suivre les péripéties des groupes trotskystes ; il semble que Pierre Lanneret resta attaché à ce courant, tout en en critiquant certaines actions et prises de positions.
Un chapitre est consacré aux anarchistes. Il y est fait mention des différences de position des anarchistes et aussi de leur persécution par le nazisme et le régime de Vichy. Tout en saluant le courage de l’action d’André Arru, il ne peut s’empêcher de l’évaluer au travers du prisme trotskyste : Les textes émanant d’Arru et de sa fantomatique « Fédération internationale syndicaliste révolutionnaire » bien que très différents par le style et le contenu des textes publiés par les groupes internationalistes, se placent néanmoins dans une opposition totale à tous les belligérants et invitent la classe ouvrière à compter uniquement sur sa propre action. Mais c’est en vain que l’on cherchera des analyses de la situation, des perspectives, une définition précise de l’attitude du mouvement, dans les textes anarchistes disponibles d’avant cette période ultime de la guerre.
Cependant, examinons à présent ce qui se passe pour les autres mouvements dont parle Pierre Lanneret.
– Les trotskystes :
En 1939, toujours divisés, ils entrent au PSOP (Parti socialiste ouvrier et paysan) né l’année précédente. Ils recouvrent leur autonomie quand le PSOP s’effondre au début de la guerre (p.60).
– L’Union communiste :
La guerre, avec la mobilisation, l’arrestation ou la fuite des militants étrangers qui s’ensuivent, amène l’effondrement du groupe qui, à son apogée, ne comptait certainement pas plus de quarante membres. Davoust (Chazé) est arrêté, puis déporté. Il survivra à Sachsenhausen et reprendra son activité dans l’avant-garde, mais l’UC ne sera pas reconstituée (p.61).
– La Gauche socialiste et le PSOP :
En 1937, au sommet de son influence, la Gauche révolutionnaire (regroupée autour de Marceau Pivert, tendance du Parti socialiste – SFIO) ne contrôle que 16 % des mandats au congrès socialiste et, par conséquent, ne peut influencer le cours des évènements (p.61). Les pivertistes quittent le PS en 1938 pour fonder le PSOP. Pivert est en Amérique lorsque la guerre éclate (p.62). Le parti (PSOP) se désintègre et les militants se dispersent après avoir refusé la proposition des trotskystes de former une organisation clandestine (p.62). Pendant la guerre, on peut retrouver quelques ex-membres du PSOP, avec, dit Pierre Lanneret, quelques ex-anarchistes et syndicalistes, dans des groupes et publications (Nos combats, puis Liberté ainsi que L’insurgé et Libérer et fédérer) représentant l’aile gauche de la Résistance. Les publications citées, quoique d’un ton différent des journaux gaullistes ou communistes, affirment que la guerre est certes impérialiste, mais l’ennemi numéro 1 est le fascisme et il doit en toute priorité être vaincu par la classe ouvrière dans le cadre de la lutte menée par les Alliés (p.62/63).
– La Gauche communiste internationale (bordiguistes) :
Elle revendique pleinement la théorie marxiste, tout en se démarquant vigoureusement du Comintern. On adhère au parti en tant qu’individu parce qu’on est d’accord avec les idées du parti. Il ne peut y avoir qu’une seule organisation pour défendre le programme de la révolution. Le parti refuse d’infiltrer d’autres organisations, condamne la formation de blocs ou de coalitions avec elles. Citation d’un numéro de 1971 du Prolétaire, organe du PCI : Le point fondamental reste que la théorie marxiste est immuable ; elle ne peut être discutée ni par le parti, ni par la classe. Le second conflit mondial équivaut à une guerre impérialiste […] qui devrait être transformée en guerre civile contre toutes les bourgeoisies. Un petit noyau se forme autour de Perrone (Vercesi) […] isolé à Bruxelles. A Marseille, un petit groupe de bordiguistes italiens et de jeunes recrues françaises réunies autour de Marc (Chyryk) […] forme la Fraction française de la GCI. Quelques textes sont rédigés. Finalement, la Fraction se transporte à Paris et noue des contacts avec les Italiens […]. Quelques numéros de l’Etincelle sont publiés alors que la guerre approche de sa fin (p.66/67).
– Les Communistes révolutionnaires allemands et français (RKD et CR) :
Ils divergent de Léon Trotsky sur l’attitude en cas de guerre dans les pays qui pourraient prêter leur aide à la Russie. Ils préconisent un défaitisme révolutionnaire… Le groupe publie beaucoup, notamment Spartakus dans lequel on trouve : Nous ne sommes ni social-démocrates (sic), ni staliniens, ni trotskystes. Les questions de prestige ne nous intéressent pas. Nous sommes des communistes, des spartakystes révolutionnaires. Des contacts sont pris avec des soldats allemands, le groupe entre dans la clandestinité et déménage souvent, victime de la répression. Même les personnes qui ont participé aux activités du RKD ne peuvent être considérées comme des sources autorisées pour juger de l’importance de leur recrutement qu’on évalue, sans garantie aucune, à une douzaine de militants (parmi lesquels quelques français) à la Libération de Paris (p.69/70).
Citons enfin quelques extraits des conclusions de Pierre Lanneret :
Cette étude ne tente d’expliquer que l’arrière-plan historique et les actions des trois groupes qui ont adopté une attitude sans équivoque pendant la guerre, le RKD-CR, le GRP-UCI et la Gauche communiste internationale (les bordiguistes). Comme ils n’étaient pas tourmentés, à l’exemple des trotskystes, par les problèmes de stratégie et de tactique occasionnés par la participation de l’URSS au conflit, ils différaient peu, dans leur analyse de la guerre. […] Nous avons jugé nécessaire de mentionner le courant anarchiste, à la fois pour mettre l’accent sur l’effondrement d’un mouvement et pour prendre note des efforts des militants qui, au moins, ont tenté de renouer les fils. (p.73/74) […]
L’ultra-gauche n’était qu’un grain de sable dans la tempête et ne pouvait se fixer que des tâches modestes. En dépit de sa faiblesse, elle a jugé nécessaire de maintenir son organisation pour sauvegarder et développer la théorie, regrouper les militants et dénoncer les mensonges et illusions diffusées par les diverses forces impérialistes.(p.76) […]
Même avec les meilleures intentions, l’activité clandestine n’incite pas au débat de longue durée ni à la politique démocratique, au delà de la phase des discussions en petit comité. La Résistance n’était pas un forum politique. Pour se faire connaître et respecter à l’intérieur d’un cercle forcément restreint, un militant infiltré aurait été forcé d’obéir à des ordres et d’accomplir les tâches qui lui auraient été prescrites : en d’autres termes, il aurait été perdu pour sa propre organisation et pour ses propres idées.(p.77)
Si l’on compare les tentatives de ces différents groupes et courants, décrits par Pierre Lanneret, à celles des anarchistes regroupés dans le Sud autour d’André Arru (Marseille, Toulouse, Agen etc.), on retrouve certaines constantes : petit nombre (clandestinité oblige), quelques publications, condamnation des différents protagonistes de la guerre, appel à l’internationalisme, refus de se couler complètement dans le moule de la Résistance. L’auteur ne mentionne pas la fabrication par André Arru et ses compagnons de faux papiers destinés aussi bien à des militants qu’à toute personne pourchassée par le régime fasciste. Faut-il croire qu’une telle activité lui semble de peu d’importance au regard des prises de positions théoriques ? Critique récurrente que l’on retrouve même au sein du mouvement libertaire, avec Fontenis, comme du reste auparavant chez les plateformistes. Certains semblent savoir ce que tous les anarchistes doivent penser et faire… mieux que ceux-ci mêmes.
Notes de lecture par Sylvie Knoerr-Saulière