George Grosz fut un dessinateur et un peintre allemand puis américain. Témoin de la première Guerre mondiale, de l’échec de la Révolution en Allemagne puis de la montée du nazisme, il a réalisé des dessins qui sont une violente attaque contre l’ordre établi. Il a exprimé dans son art sa haine pour le militarisme, le clergé et la bourgeoisie. Son influence sur les caricaturistes d’aujourd’hui est indéniable. Ses dessins sont souvent utilisés dans des dossiers ou des documents à l’école pour illustrer l’histoire de l’Allemagne entre 1918 et 1933.
Il est né à Berlin en 1893. Il passe son enfance en Poméranie. Il suit des études artistiques à l’Académie royale de Dresde puis à Berlin. Son premier dessin est publié en 1910. En 1913, il voyage à Paris où il rencontre le peintre Jules Pascin.
Il est volontaire en 1914 mais est réformé pour raisons de santé en 1915. Il est réincorporé en 1917 et finira la guerre dans divers centres hospitaliers. Plusieurs de ses dessins montrent les champs de batailles avec leurs cortèges de destructions, de morts et de prisonniers. En 1916, refusant le nationalisme germanique, il transforme son prénom Georg en George et son nom Gross en Grosz. Il parle anglais par provocation.
Ses influences sont multiples. Ses débuts sont marqués par le Jugendstil (Art Nouveau). On retrouve le futurisme italien avec son dynamisme et sa qualité visionnaire dans une oeuvre comme La Ville (1916).
Puis c’est la période dadaïste avec des photomontages et des collages pour des publications satiriques qu’il anime. L’expressionnisme est ensuite très présent, notamment dans Ecce Homo, un recueil d’aquarelles antireligieuses et antimilitaristes. Après 1924, on a qualifié aussi sa peinture de vériste dans le sens de la Nouvelle Objectivité.
Il défend la Révolution soviétique et adhère au KPD (Parti communiste allemand) en décembre 1918. L’écrasement de la révolution allemande radicalise ses dessins. Parmi les oeuvres de cette époque, on peut citer Noske buvant à la mort de la jeune révolution (1919), Ouvriers jugeant l’armée sous un portrait de Karl Liebknecht (1919), Allemagne conte d’hiver (1917-1919). Au centre de cette peinture, aujourd’hui perdue, un gros bourgeois allemand, le cigare aux lèvres lit son journal. Au dessous de lui sont représentés les trois piliers de la société : l’armée, l’Eglise, l’école. Il se cramponne à sa fourchette et son couteau, autour de lui, le monde vacille. Un matelot révolutionnaire et une prostituée complètent ce tableau. Les guérisseurs de la foi (extrait du recueil Gott mit uns, 1920) représente un squelette se présentant devant le conseil de révision. Tous les officiers présents l’envoient sans problème à l’armée.
L’hommage à Oskar Panizza (1917-1918) est réalisé selon le principe du collage. la couleur dominante est rouge sang. Le tableau représente une procession hallucinante de figures déshumanisées. Au premier plan, trois figures symbolisent la syphilis, l’alcoolisme et la peste. La mort triomphe au centre de la composition. La folie de la race humaine rappelle Bosch et Bruegel. Oskar Panizza était psychiatre et écrivain maudit. Il fut deux fois condamné pour blasphème et crime de lèse-majesté. A partir de 1904, il sera interné.
Dada est né à Zurich en 1916. Le mouvement arrive à Berlin en 1918. George Grosz en est l’un des premiers représentants Il réalise avec John Heartfield (1891-1968) un photomontage intitulé Dadamerika. Les oeuvres, écrits et manifestations collectives sont influencés par le mouvement révolutionnaire marxiste mais avec le poète Franz Jung, à Berlin, Dada présente également des tendances anarchistes ou nihilistes. La première soirée Dada est organisée en avril 1919 dans la salle de la Nouvelle Sécession. Le poète et écrivain Richard Huelsenbeck (1892-1974) prononce le premier manifeste Dada dont il est le principal auteur. Il affirme le cosmopolitisme du mouvement ainsi que l’opposition à toute tendance éthique ou esthétique.
Dans les meetings Dada, les spectateurs étaient couverts d’injures. On en venait régulièrement aux mains et il fallut demander l’autorisation de la police avant d’organiser une nouvelle réunion. Tout était tourné en dérision. Les différends entre artistes se réglaient aussi sur la scène. Un jour, une course fut organisée entre une machine à coudre manoeuvrée par George Grosz et une machine à écrire actionnée par Walter Mehring. George Grosz fut nommé Propagandada. Berlin fut couvert d’affichettes avec des slogans tels que « Dada ist da ! », « Dada siegt », « Dada ! Dada über alles », « Dada ist sinnlos » (Dada n’a pas de sens). Dada représente un nihilisme total : le néant, le vide, le trou. En 1919 et 1920 paraît la revue Der Dada.
En 1920, George Grosz, John Heartfield et Raoul Hausmann organisent la première Foire internationale Dada. Elle a lieu à la Galerie Otto Burchard. Au plafond était accroché un général empaillé avec une tête de porc, oeuvre de Rudolf Schlichter. Une pancarte signalait qu’il avait été « pendu par le peuple ». 174 oeuvres sont présentées : dessins, collages et objets, textes Dada et politiques. On remarque la présence d’oeuvres de Max Ernst et d’Otto Dix. La galerie sera fermée sur ordre de la police et condamnée à une amende.
En 1922, il passe six mois en Russie soviétique avec l’écrivain danois Martin Andersen-Nexø. Il rencontre brièvement Lénine et d’autres dirigeants. Après avoir été fasciné par la Révolution, le bilan de son voyage est plutôt accablant. Il ne trouve rien de positif dans la Russie de 1922. La faim, la bureaucratie, les destructions sont omniprésentes. Il quitte le PC en 1923 mais continue à donner des dessins à ses journaux. On y voit des bourgeois repus et obscènes, des militaires grotesques et arrogants. En 1927, Sacco et Vanzetti est un dessin d’actualité qui représente la Statue de la liberté couverte de sang et brandissant une chaise électrique. C’est une dénonciation des condamnations à mort des deux anarchistes italiens.
Son pessimisme est présent derrière une perfection glacée à la De Chirico. Le Portrait de son ami Max Hermann-Neisse (1925) le représente cruellement en nabot recroquevillé dans son fauteuil bien qu’il fut son défenseur lors d’un procès.
En 1928, Erwin Piscator avait mis en scène le livre de Jaroslav Hasek, Les aventures du brave soldat Chveik. Des dessins de George Grosz étaient projetés à l’arrière de la scène. Une partie d’entre eux seront rassemblés dans un recueil intitulé Arrière-plan. Cette publication lui vaut une condamnation à deux mois de prison et 2000 marks d’amende pour blasphème mais sera acquitté en appel deux ans plus tard. On y voyait un Christ crucifié avec un masque à gaz et des bottes militaires, la croix menaçait de tomber, la légende était Ferme-la et continue à servir.
En 1921, un premier procès lui avait valu une amende de 300 marks pour insulte à l’armée dans le recueil Gott mit uns. En 1924, il avait été condamné à 6000 marks pour outrage aux bonnes moeurs à cause du recueil Ecce Homo où il décrivait la vie privée de la bourgeoisie.
En 1930, il dessine un boucher caressant un animal écorché. Ses viscères sont posées au premier plan comme les couleurs d’un peintre sur sa palette.
Il émigre quelques jours avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Le régime nazi lui retire sa nationalité allemande et ses oeuvres trouveront une place de choix dans l’exposition sur l’art dégénéré en 1937.
Son talent de caricaturiste est très apprécié aux Etats-Unis. Invité par l’Art Students League de New York, il y donne des cours de dessin. Il dessine pour des journaux puis crée sa propre école. Il va prendre la nationalité américaine. Mais il est trop admiratif pour être critique et son talent s’étiole. Ses peintures deviennent plus calmes et sereines. Il continue cependant ses dessins d’actualité : camps de concentration, calvaire de l’anarchiste Erich Mühsam (C’était un écrivain, 1934), arrivée de Franco au pouvoir en Espagne.
En 1946, il écrit sa biographie Un petit oui et un grand non. Il s’agit d’un récit plein d’humour et de spontanéité. Il n’épargne pas les membres de l’intelligentsia berlinoise qu’il a connus comme Heinrich Mann ou Bertolt Brecht.
Il retrouve cependant sa véhémence antérieure Il représente des vieillards armés de fourchettes tordues qui continuent la guerre. En 1946, Le Puits est une évocation hallucinée de l’Europe en ruines. En 1950, la série des Hommes bâtons est une vision cauchemardesque de la croissance démographique.
Ses dessins raillent aussi les moeurs de sa patrie d’adoption. En 1958, Cookery School (L’école de cuisine ou La vallée des saucisses) est une série de collages grotesques avec des images provenant de magazines et de publicités. C’est une critique de la société de consommation américaine. Cette oeuvre anticipe le pop’art.
Après plusieurs voyages en Europe, il décide en juin 1959 de s’installer à Berlin. Le mois suivant, en rentrant d’une soirée bien arrosée, il meurt des suites d’une chute dans l’escalier de sa cave.
Felip Equy
A lire :
GROSZ (George). Un petit oui et un grand non. J. Chambon, 1999. 414 p. : ill.
Georg Grosz : les années berlinoises, 70 dessins et aquarelles de 1912 à 1931 : catalogue d’exposition. Musée-galerie de la Seita, 1995. 150 p. : ill.
KRANZFELDER (Ivo). Georg Grosz. Taschen, 1994. 96 p. : ill.