Les gravures sur bois anarchistes d’Alexandre Mairet
Les 15 et 16 septembre 2007, le Centre international de recherches sur l’anarchisme (CIRA) de Lausanne fêtait ses 50 ans. À cette occasion, était organisée une rencontre de la Fédération internationale des centres de documentation et d’études libertaires (FICEDL). En guise de bienvenue, chaque centre participant se vit remettre un exemplaire de l’ouvrage Alexandre Mairet : les gravures sur bois de Bernard Wyder (Lausanne, Éditions d’En bas, 1991). Ce fut pour moi l’occasion de découvrir l’existence d’un artiste aux sympathies anarchistes dont j’ignorais totalement l’existence.
Alexandre Mairet a su mettre de façon remarquable une technique très ancienne au service d’idées contestataires. La technique de la gravure sur bois (xylographie) remonte à la fin du XIVe siècle. Sur une plaque de bois, l’artiste grave un dessin à l’envers. Après encrage, on peut reproduire le dessin sur un support. Les gravures sur bois ont fait longtemps l’objet d’un commerce de colportage (almanachs, calendriers).
Alexandre Mairet est né en 1880 à La Tour-de-Peilz dans le canton de Vaud (Suisse). De 1896 à 1899, il est élève à l’école des Beaux-arts et des arts industriels à Genève. À partir de 1901, il travaille dans l’atelier du xylographe Maurice Baud. De 1903 à 1907, il fait de nombreux séjours à Arnex près d’Orbe (Vaud) et à la Dent de Lys (canton de Fribourg). Partageant la vie des bergers, il peint alors surtout des aquarelles. Pour vivre, il vend des peintures qui sont plus demandées que les gravures qui commencent à être détrônées par la photographie. De 1908 à 1910, il voyage en Italie (Florence, Rome), en Grèce, en Egypte. Il en rapporte des esquisses mais aussi des observations pour ses futurs cours d’histoire de l’art. Dans les années 1920, il visite Paris et y réalise des peintures, il organise aussi une exposition d’artistes suisses à Turin.
Admirateur de Tolstoï, il lui avait écrit une lettre pour lui faire part de ses idées et des ses problèmes. Il a gardé précieusement toute sa vie la réponse que lui envoya l’écrivain russe en 1905.
Pendant la première Guerre mondiale, il fréquente Romain Rolland et les milieux anti-bellicistes français très présents à Genève. Ils y publient plusieurs périodiques. Certains sont illustrés par le xylographe flamand Frans Masereeel (1889-1972) qui aura une influence certaine sur Mairet. Réfractaire à l’armée, Masereel a séjourné en Suisse de 1915 à 1921 ; les deux hommes se sont fréquentés. Les gravures sur bois de Masereel sont un peu mieux connues que celles de Mairet. De nos jours encore, on les trouve fréquemment reproduites dans la presse libertaire, sans que l’auteur ne soit toujours mentionné.
En 1916, Alexandre Mairet collabore à la revue pacifiste Le Carmel. Puis de 1918 à 1930, il illustre le bimensuel Le Réveil anarchiste. Ce périodique était réalisé par Louis (Luigi) Bertoni (1872-1947). Typographe, il avait créé à Genève en 1900, Il Risveglio anarchico-Le Réveil anarchiste, contenant des articles en français et en italien. Le titre est modifié en 1913, le journal devient Le Réveil communiste anarchiste puis à partir du 1er mai 1926 Le Réveil anarchiste. Alexandre Mairet y donne plus de quarante gravures sur bois. Il réalise en 1930 le nouveau titre. Certains dessins sont agencés comme de courtes bandes dessinées. Les thèmes sont généraux : il y dénonce le chômage, la religion, la justice, le fascisme. Il illustre les luttes entre ouvriers et patrons, les manifestations, les barricades. Il y a aussi quelques dessins d’actualité comme l’exécution de Sacco et Vanzetti. Les slogans qui accompagnent les gravures sont toujours incisifs.
Entre 1917 et 1922, il a également collaboré à La Nouvelle Internationale, journal des jeunesses socialistes romandes puis à L’Avant-garde, organe du Parti communiste suisse.
En 1919, il avait obtenu un poste d’histoire de l’art à l’école des Beaux-arts de Genève, qu’il occupera jusqu’en 1946. Il donne aussi des cours à l’Université ouvrière (entre 1928 et 1941). En 1922, il est l’un des fondateurs de l’Association syndicale des peintres, sculpteurs, dessinateurs et artisans d’art du canton de Genève, dont il est le secrétaire. Il a aussi des responsabilités dans la Société des peintres, sculpteurs et architectes suisses. Apprécié par ses collègues, il n’a jamais recherché les titres. Ses fonctions, il les a obtenues en raison de son caractère consciencieux et loyal.
En 1938 et 1939, il décore le Bâtiment électoral à l’occasion des la Fête de mai, célébration officielle par le canton de Genève du Premier Mai.
Alexandre Mairet est décédé en 1947. L’ensemble des artistes de Genève lui rendent alors hommage. Un cahier spécial de la revue Le Carmel lui est consacré mais sur onze collaborations, aucune n’évoque les sympathies anarchistes de Mairet.
Felip Équy