Un précurseur libertaire de La SF : Régis Messac (1893-1945)
Rééditions de livres, création d’une association et d’un bulletin, organisation d’un colloque, articles sur Internet… L’œuvre et la vie de Régis Messac semblent enfin sortir de l’oubli. Depuis les dernières rééditions des années 1970, cet écrivain et journaliste libertaire était en effet ignoré par la critique et les éditeurs.
Régis Messac est né à Champagnac en Charente-Maritime en 1893. Il est fils d’enseignants dans le primaire. Après des études classiques, il tente en 1914 d’intégrer l’École normale supérieure mais rate le concours d’entrée. À la déclaration de guerre, il est mobilisé. Gravement blessé à la tête, il se retrouve à l’arrière dans divers services auxiliaires à Caen puis à Dunkerque. Au contact des soldats britanniques, il apprend l’anglais. Ses premiers ouvrages datent de 1919. Il y dénonce déjà la guerre et les États qui envoient leurs populations au casse-pipe.
Pendant une permission en 1915, il avait réussi une licence de lettres. En 1922, il est reçu à l’agrégation (grammaire). Il entame alors une carrière d’enseignant en France (lycée d’Auch) puis en Écosse (université de Glasgow) et au Canada (université de Montréal). Il rentre en France en 1929 et soutient une thèse intitulée Le « Detective Novel » et l’influence de la pensée scientifique. C’est sans doute l’une des premières en France à traiter du roman policier. Il fait l’historique depuis les origines du roman dit de détection qu’il présente comme un humanisme. Sa thèse complémentaire a pour sujet Edgar Poe. Malgré sa thèse, on lui refuse d’enseigner à l’université. En 1936, il quitte Montpellier où il était prof de lycée pour occuper un nouveau poste au lycée de Coutances dans la Manche.
Il affichait des opinions antimilitaristes, pacifistes et non-violentes. Il se flattait notamment de ne pas avoir tiré sur un ennemi pendant la guerre. Il a été membre de la Ligue internationale des combattants de la paix. Se méfiant des grands partis de gauche, ses sympathies allaient vers les anarchistes et les minorités syndicales. Il a eu des responsabilités syndicales comme secrétaire de la Fédération générale de l’enseignement en 1936.
Pendant l’Occupation allemande, il rejoint les rangs de la Résistance. Il crée une fraction du Front national, mouvement d’obédience communiste, et il organise une filière d’évasion pour les insoumis au Service du travail obligatoire. Il est arrêté le 10 mai 1943 puis il va passer par les prisons de Saint-Lô et de Fresnes. Il est ensuite déporté dans le camps du Struthof en Alsace, puis dans un pénitencier en Silésie et enfin au camp de Gross-Rosen dans la même région. On perd sa trace après le 19 janvier 1945. Il est sans doute décédé pendant l’une des marches de la mort de la fin de la guerre.
Son œuvre se compose d’articles de journaux, d’essais, de traductions et de romans autobiographiques et de science-fiction.
Il a publié de très nombreux articles dans des revues littéraires (La Grande revue, La Revue belge, La Revue d’histoire littéraire de la France…), syndicales (L’École émancipée…) ou politiques (Patrie humaine, Barrage, La Révolution prolétarienne…). Il a été rédacteur en chef de la revue Les primaires. Cette revue littéraire indépendante publiait ses essais sur la science-fiction ainsi que des nouvelles de l’auteur de SF américain David H. Keller. Il a participé à plusieurs périodiques du courant de littérature prolétarienne animé entre autres par Henry poulaille (Nouvel Âge, Les Humbles…). Il y a écrit des études littéraires et scientifiques, des critiques de livres (notamment une soixantaine de romans policiers), des articles polémiques ou satiriques. Il dénonçait la corruption et les puissances financières. Touche-à-tout brillant, il s’est exprimé sur un grand nombre de sujets : économie, politique, histoire, pédagogie, sciences, art, littérature, culture, écologie, prospective… On a recensé plus de 900 articles signés de son nom ou de pseudonymes.
Il est l’auteur de plusieurs romans autobiographiques comme Le voyage de Néania à travers la guerre et la paix (1926) ou Smith Conundrum (1941). Précurseur de la science-fiction française, il avait lancé une collection « Les Hypermondes » dans laquelle sont parus deux de ses titres et un ouvrage de son ami Keller. Ses romans d’anticipation sont très pessimistes mais ils ne sont pas complètement désespérés grâce à un humour noir qui peut laisser espérer un sursaut salvateur.
Le miroir flexible (1933) est d’abord paru sous forme de feuilleton dans la revue Les Humbles. Il relève de plusieurs genres : policier, science-fiction, critique sociale. Il met en scène un savant et sa fille vivant dans un trou perdu des États-Unis ou sévit le Ku Klux Klan. Régis Messac avait effectué plusieurs voyages dans ce pays et en connaissait la mentalité. L’action de Quinzinzinzili (1935) se déroule après une guerre mondiale et une destruction apocalyptique. Suite à une modification de l’air, l’humanité disparaît. En France ne survivent qu’un éducateur et quelques enfants qui ont inventé une nouvelle langue. Le titre du livre est une déformation de « Pater noster qui es in coelis » (« Notre père qui êtes aux cieux »). Les enfants vont reconstruire une nouvelle société superstitieuse et ignorante pire que la précédente. La cité des asphyxiés (1937) a pour cadre un monde souterrain. À la surface de la Terre, l’air est devenu irrespirable. Dans les sous-sols, les riches peuvent fabriquer et respirer un air de qualité, les pauvres ont du mal à respirer et se préparent à la révolte. Utilisant la métaphore de l’asphyxie, ce conte philosophique est une critique impitoyable de la société de consommation et des injustices. Valcrétin (publication posthume) met en scène une peuplade oubliée vivant dans une île au large du Chili. Sa principale caractéristique est la bêtise : culte de la laideur, violence, inceste… Une expédition scientifique chargée de l’étudier va être contaminée et se crétiniser à son tour.
Parmi ses essais, on peut citer À bas le latin (1933). C’est sans doute à cause de ce livre que sa carrière d’enseignant fut définitivement bloquée. Il s’interrogeait déjà sur les méthodes d’enseignement, le surmenage des élèves, la concurrence entre scientifiques et littéraires. Les romans de l’homme singe (1935) s’intéresse au thème de l’évolution dans la littérature. Micromégas (1936) est l’étude des œuvres qui traitent de l’Homme dans son rapport à l’infiniment grand et l’infiniment petit. Dans Les premières utopies (1938), Régis Messac s’intéresse aux œuvres littéraires (avant More, Campanella ou Cabet) qui mettent en scène un monde idéal. Pot-pourri fantôme est une chronique des années d’Occupation de 1939 à 1942. C’est un pamphlet contre le régime de Vichy.
L’œuvre de Régis Messac a été défendue par son fils Ralph Messac (1924-1999). Ce journaliste-avocat-syndicaliste était aussi bibliomane. Il a donné de nombreux ouvrages à la Bilipo, bibliothèque parisienne spécialisée dans les littératures policières. En 1958, il a publié Pot-pourri fantôme qui était alors inédit.
La Société des amis de Régis Messac est née en 2006. En janvier 2008, elle publiait le premier numéro de Quinzinzinzili, le bulletin messacquien. Cette revue propose des articles d’actualité, des chroniques historiques, une riche bibliographie et des textes de Régis Messac. Adresse : 71 rue de Tolbiac, 75013 Paris (tél. : 09 54 13 87 88 ; courriel : ).
En 2010, un colloque sera organisé par l’université de Bordeaux 3 sur le thème Régis Messac, l’écrivain-journaliste à re-connaître ? Renseignements :
Ouvrages actuellement disponibles :
Lettres de prison. 2e éd. Ex nihilo, 2007. 135 p. 15 €.
Le miroir flexible. Ex nihilo, 2008. 159 p. 15 €.
Micromégas. Ex nihilo, 2009. 15 €.
Les premières utopies. Ex nihilo, 2009. 15 €.
Quinzinzinzili. L’Arbre vengeur, 2007. 195 p. 13 €.
Les romans de l’homme-singe. Ex nihilo, 2007. 116 p. 15 €
Felip Equy